Par Martin Achard
Le 15 février 1986, Matthew Hilton passait le K.-O. à l’ex-champion mondial des poids super-légers, mi-moyens et super-mi-moyens, Wilfred Benitez, au Centre Paul-Sauvé de Montréal. Cette victoire d’Hilton constitue le seul triomphe par K.-O. obtenu par un boxeur québécois contre un membre de l’International Boxing Hall of Fame (IBHOF) au cours des 90 dernières années.

Étant déjà un immense fan de boxe dans les années 1980, qui suivait assidûment la carrière et l’ascension vers le titre mondial de Matthew, je possède encore plusieurs souvenirs très vivaces de cet exploit majeur. Mais ne voulant pas faire confiance qu’à ma seule mémoire, je suis allé fouiller pour écrire le présent article dans les journaux du temps, afin de m’assurer de résumer avec exactitude les moments forts du combat, de même que le contexte dans lequel il s’inscrivit. Qu’un hommage soit ainsi rendu à Matthew et à son père et entraîneur, Dave Sr, pour avoir apporté la démonstration (la première depuis belle lurette à cette époque) que les Québécois pouvaient obtenir du succès en boxe sur la scène mondiale, et avoir ouvert ainsi la voie aux exploits subséquents des Éric Lucas, Joachim Alcine ou Jean Pascal. On ne saurait à mon sens trop souligner, et célébrer, l’importance déterminante de leur contribution.
Le contexte

Au début de 1986, Matthew, qui était tout juste âgé de 20 ans, revendiquait un palmarès immaculé de 19-0-0 (15 K.-O.), et il avait déjà percé le top 10 des classements mondiaux des 154 livres en raison de ses victoires contre l’étoile montante Francisco de Jesus et l’ancien champion linéaire et unifié des poids moyens, Vito Antuofermo. Sa force de frappe dévastatrice, sa gentillesse et son physique avantageux donnaient à croire à plusieurs observateurs américains qu’il possédait tous les atouts pour devenir l’une des grandes vedettes du noble art. Cette perception de son potentiel explique en partie pourquoi son combat contre Benitez fit l’objet d’une diffusion en direct aux États-Unis, sur les ondes de CBS, en plus d’être retransmis au Canada par CTV.

Quant à Benitez (49-4-1, 30 K.-O.), un génie de la défensive et de la contre-attaque, il était déjà connu de tous les amateurs de boxe depuis une dizaine d’années, pour avoir réalisé la prouesse de remporter son premier titre mondial à l’âge de 17 ans, et livré des duels de très haut niveau contre Sugar Ray Leonard, Roberto Duran et Thomas Hearns. Lorsqu’il affronta Matthew, «El Radar» était certes sur la pente descendante, mais il n’était pas encore devenu un pugiliste médiocre pour autant. Qu’on considère en effet ces faits: le Portoricain n’avait que 27 ans, et son match contre Hilton fut précédé d’une victoire contre un adversaire possédant un palmarès de 22-0-0, et suivi d’une victoire contre un rival détenteur d’un palmarès de 19-0-0.

Malgré tout l’attrait que revêtait en principe le choc Hilton-Benitez, assurément le plus important combat professionnel disputé par un pugiliste québécois à Montréal depuis des lustres, il ne suscita, au moment de son annonce, qu’un faible intérêt au Canada et dans la Belle Province. L’une des raisons en est qu’à cette époque, l’attention du Canada anglais était massivement dirigée vers les premiers pas chez les professionnels des médaillés d’argent aux Jeux olympiques de 1984, Shawn O’Sullivan et Willie de Wit, qui jouissaient d’une couverture médiatique soutenue de la part de TSN.
Quant au Québec, l’étoile de la famille Hilton y avait malheureusement pâli auprès du public, en conséquence des démêlés avec la justice d’Alex et de l’inactivité de Dave Jr, attribuable à un accident de moto. Matthew avait d’ailleurs commenté cette situation lors d’une conférence de presse tenue en vue du combat: «Le nom des Hilton est moins populaire qu’avant, c’est évident», avait-il reconnu avec franchise. «Les gens ont été déçus par toutes les mésaventures qui nous sont arrivées au cours de la dernière année». De surcroît, la mise sous contrat des célèbres frères avec le promoteur américain de triste réputation Don King, qui avait entraîné leur participation à des galas aux États-Unis à partir de 1985, avait déplu à plusieurs amateurs de la première heure, qui s’étaient sentis injustement dépouillés de leurs idoles.

Puisqu’il est question de Don King, on ne s’étonnera pas d’apprendre que, à l’occasion du choc Hilton-Benitez, il fut fidèle aux pratiques de requin sans scrupules qui l’ont toujours caractérisé. Il fit en effet signer aux deux boxeurs un contrat stipulant qu’ils devaient renoncer à leur part des droits de télévision et de radio, droits qui totalisaient 100000$ environ. Interrogé sur ce fait, Matthew déclara naïvement: «Je me fous de l’argent pour l’instant. C’est le titre que je vise. Quand je serai champion du monde, je serai en mesure d’exiger ce que je veux». L’ancien détenu tenta également de convaincre la Commission athlétique de Montréal d’accepter moins que le 5% qui lui était dû sur ces mêmes droits, mais il essuya une fin de non-recevoir de la part de l’organisation, qui était alors présidée par Paul-Émile Sauvageau.
Un autre qui refusa de se plier docilement à toutes les manœuvres de King fut Benitez. Deux jours avant l’affrontement, il menaça de faire faux bond, sous prétexte que le promoteur lui avait originellement offert un montant ferme de 25000$, pour ensuite lui accorder un contrat identique à celui de Matthew, soit 5000$ plus 15% des recettes aux guichets. Le différend fut finalement réglé et, à en croire des sources fiables, les deux boxeurs empochèrent chacun entre 30000$ et 45000$ pour leur après-midi de travail, c’est-à-dire une bourse plutôt modeste compte tenu de l’importance impartie à leur duel.
Le combat

C’est peu après 17h que Matthew, brandissant un petit drapeau canadien, fit son entrée dans le ring du défunt Centre Paul-Sauvé, accompagné de Dave Sr, de même que de l’ancien champion WBA des poids lourds Jimmy Ellis, et du cutman Bill Present. En dépit de l’appui que lui manifestèrent bruyamment la vaste majorité des 4727 spectateurs sur place, un certain nombre de parieurs québécois présents dans l’assistance ne cachèrent pas, lors de conversations d’estrades, qu’ils avaient misé leur argent sur son adversaire. Il y avait en effet à l’époque si peu d’exemples récents de triomphe d’un pugiliste québécois contre un grand nom de la boxe internationale, qu’une victoire de Matthew sur le maître qui avait infligé à Roberto Duran sa troisième défaite en carrière demeurait pour eux difficile à concevoir. La suite des choses allait cependant contredire de façon éclatante leur pessimisme.

Au premier round, Matthew mit en œuvre la directive que lui avait donnée son père en attaquant avec résolution Benitez, un slow-starter notoire, pour lui faire sentir sa puissance. La stratégie porta fruit. Un lourd crochet de la main arrière au côté gauche du Portoricain le fit grimacer de douleur et le força à poser un genou au sol, pour le compte de huit.
Au cours des rounds deux à cinq, l’ancien champion recouvra l’essentiel de sa mobilité, et put ainsi éviter de se retrouver trop souvent acculé dans les câbles, mais son bon jeu de jambes n’empêcha pas Matthew de faire régulièrement mouche avec son légendaire crochet de la gauche. Le favori de la foule passa bien près de renvoyer son adversaire au tapis au deuxième et il le mit manifestement en difficulté à la fin du quatrième. Ce n’est qu’au cinquième que Benitez marqua finalement son premier point, mais parce que l’arbitre Guy Jutras pénalisa Hilton pour un coup bas flagrant.

Au sixième, il s’en fallut de peu que Matthew achève la besogne lorsqu’il sonna Benitez d’une gauche et enchaîna d’une impressionnante volée de coups, qui causa cependant chez lui une fatigue momentanée. En véritable boxeur-né qu’il était, le futur champion tira immédiatement une leçon de cette expérience. Comme il l’expliqua dans ses commentaires d’après-combat: «Je n’arrivais pas à le toucher à la tête comme je le voulais. Mon père ne cessait de me répéter de viser le corps. J’ai compris mon erreur à la sixième reprise quand je me suis vidé pour rien. J’ai senti que je ne l’aurais pas comme ça, et que je devais le piéger autrement».
Afin de regagner son énergie, Matthew ralentit le rythme au septième, ce qui permit à Benitez de placer sans doute son plus beau coup du match, une droite appliquée sur le côté de la tête. Matthew sut se racheter en reprenant l’avantage au huitième, grâce à des attaques bien variées au corps et à la tête.

Pendant la majeure partie du neuvième round, Benitez connut probablement ses meilleurs moments du combat, mais vers la fin de la reprise, Matthew l’accula dans les câbles et l’atteignit de nombreuses bombes, dont un crochet de gauche à la mâchoire particulièrement précis, dans lequel il transféra tout son poids. Le coup knock-outa instantanément Benitez et le fit demeurer au sol durant plusieurs dizaines de secondes. Cette fin spectaculaire et décisive déclencha l’euphorie du clan Hilton, qui porta Matthew en héros dans le ring alors que «El Radar» tentait, tant bien que mal, de se remettre sur pieds. Le temps officiel du K.-O.? 2 minutes et 57 secondes.

«Personne au monde chez les super-mi-moyens ne peut rivaliser avec Matthew sur le plan de la force de frappe!», déclara avec conviction Dave Sr après le duel. «Il a utilisé tous les trucs qu’il connaissait, et je profiterai de cet enseignement dans mes prochains combats», analysa pour sa part froidement Matthew.
Quant à Benitez, lorsque interviewé par les journalistes dans son vestiaire, il fut forcé d’admettre l’évidence: «C’est un bon aspirant. Il a les habiletés pour devenir champion du monde».
Épilogue
Au moment de leur affrontement, Hilton et Benitez étaient tous les deux liés contractuellement à Don King, qui avait promis au vainqueur l’obtention immédiate d’un match pour le titre mondial de la WBA alors détenu par Mike McCallum. Bien entendu, plusieurs observateurs mettaient en doute le sérieux de cette promesse du promoteur, d’autant qu’il en avait fait une entièrement similaire à Matthew avant son combat précédent!

De fait, la rencontre avec McCallum (qui aurait donné au représentant des «Fighting Hiltons» l’occasion de vaincre un deuxième membre du temple de la renommée de la boxe) ne se matérialisa jamais. Matthew dut plutôt attendre 16 mois et sept autres combats avant d’obtenir sa chance de ravir une ceinture mondiale, quand il se mesura au monarque IBF Buster Drayton le 27 juin 1987 au Forum de Montréal. Il s’avéra alors de nouveau capable de brillamment confondre les sceptiques, mais il s’agit d’une autre histoire, dont j’ai traité ici.
Sources
Tim Burke, «Angry Benitez talking walkout», The Montreal Gazette, 12 février 1986.
Gilles Bourcier, «Deux hommes de King dans le même ring», La Presse, 13 février 1986.
Gilles Bourcier, «Stunt publicitaire ou simple histoire de boxe?», La Presse, 13 février 1986.
Réjean Tremblay, «La popularité des Hilton n’a pas résisté», La Presse, 13 février 1986.
Herb Zurkowsky, «Hilton’s biggest fight still in doubt», The Montreal Gazette, 13 février 1986.
Réjean Tremblay, «Qui donc peut se fier à Don King?», La Presse, 14 février 1986.
Herb Zurkowsky, «King’s promise makes Benitez’s wife happy – finally», The Montreal Gazette, 14 février 1986.
Gilles Bourcier, «King ne peut mentir à la télévision», La Presse, 15 février 1986.
Réjean Tremblay, «Pauvres boxeurs!», La Presse, 15 février 1986.
Gilles Bourcier, «Hilton a détruit ce qu’il restait de Benitez», La Presse, 16 février 1986.
Gilles Bourcier, «“Hilton a l’habileté pour devenir champion”», La Presse, 16 février 1986.
Tom Lapointe, «Matthew a toutes les qualités d’un champion», La Presse, 16 février 1986.
Anonyme (Presse Canadienne), «Matthew Hilton pummels Benitez in a ninth-round knockout win», The Ottawa Citizen, 17 février 1986.
Tim Burke, «Matthew answers the Hilton-bashers», The Montreal Gazette, 17 février 1986.
Marc Delbès, «Hilton par K.-O. au 9e round», Le Devoir, 17 février 1986.
Herb Zurkowsky, «Hilton closes in on title fight with KO victory», The Montreal Gazette, 17 février 1986.
Note: Les sources sont listées en ordre chronologique de publication, des plus anciennes aux plus récentes.