Par Martin Achard
Le 16 janvier 1925, le Québécois Jack Delaney signait l’une des victoires les plus impressionnantes de l’histoire du noble art, à l’occasion de son premier duel contre Tiger Flowers. Le combat, prévu pour une durée maximale de douze rounds, constituait l’attraction principale d’une soirée de boxe tenue au prestigieux Madison Square Garden de New York. Pour l’occasion, Delaney affichait un poids de 163 livres, et Flowers de 166 et demie.

Pourquoi ce triomphe est-il si extraordinaire? À cause, d’une part, de la qualité de l’adversaire qu’affrontait Delaney. Flowers, un actuel membre du Temple de la renommée international de la boxe qui détint le titre mondial des moyens en 1926, est toujours considéré par d’excellents spécialistes comme l’un des dix meilleurs middleweights et l’un des cinq meilleurs pugilistes gauchers «livre pour livre» de l’histoire. Au début de 1925, le natif de Camilla en Géorgie était sur une magnifique lancée, ayant accumulé un palmarès de 38-1-2 et 1 no decision à ses 42 précédents combats. Cette remarquable séquence, pendant laquelle sa seule défaite était survenue par décision serrée contre le légendaire Harry Greb, en avait d’ailleurs fait le favori à deux contre un contre Delaney.

D’autre part, ce qui rend si exceptionnelle la victoire de celui qui était surnommé «Bright Eyes» est la manière décisive et spectaculaire avec laquelle elle fut acquise. Lors du premier round, Delaney réussit à neutraliser la plupart des charges de Flowers, un combattant énergique et porté sur l’offensive, grâce à son jab et à son jeu de jambes. Puis, au début du deuxième, il tendit un piège à son rival. Alors qu’il avait été acculé dans un coin, le Québécois planta solidement ses pieds au sol et lança quelques jabs afin de forcer Flowers à esquiver. Lorsque ce dernier, après avoir penché la tête et le tronc vers la gauche, voulut de nouveau bondir, Delaney, avec une précision et un timing parfaits, l’accueillit d’un court mi-uppercut mi-crochet de la droite placé au menton, puis enchaîna d’une droite plus longue à la mâchoire qui fit chuter Flowers sur le dos, la bouche et le nez ensanglantés, comme s’il avait été atteint par une balle de fusil! Comprenant aussitôt qu’il venait de porter le coup de grâce, le futur champion des mi-lourds se mit à sauter de joie dans le ring, mais il se ressaisit quelques secondes plus tard et retraita sagement dans un coin neutre, afin de laisser l’arbitre Jack Sullivan administrer le compte de dix. Le «Georgia Deacon», après s’être finalement relevé, eut besoin de plusieurs minutes de récupération avant de pouvoir quitter l’arène.

En moins de quatre minutes de combat, le natif de Saint-François-du-Lac venait de démontrer tous les attributs qui poussèrent certains historiens de la boxe de la première moitié du 20e siècle à le classer parmi les meilleurs pugilistes de l’histoire, toutes catégories confondues. Premièrement, ses qualités de styliste et de technicien, qui furent mises en évidence lors du premier round. Deuxièmement et troisièmement, son intelligence dans le ring et sa force de frappe, qui ressortirent de façon saisissante pendant les 43 secondes que dura le deuxième. Que demander de plus d’une performance?
Je termine en signalant quelques faits qui feront comprendre la popularité du noble art dans les années 1920 et celle de Delaney en particulier. Pour le combat Delaney-Flowers 1, où aucun titre n’était en jeu, le Madison Square Garden était rempli au maximum de sa capacité, soit 13 034 spectateurs à l’époque. Dans la foule figuraient plusieurs femmes, une constante des programmes mettant en vedette «Bright Eyes», un homme dont le physique cadrait avec les canons de beauté masculins du temps.

Le jour de l’affrontement, plusieurs amateurs choisirent de braver la forte pluie et de se ranger en file dès le début de l’après-midi devant les guichets du Garden, afin de se procurer un ou plusieurs des 6000 billets qui, selon la volonté du promoteur Tex Rickard, avaient été mis de côté pour être vendus la journée même. Le New York Times du 17 janvier 1925 rapporte que les revendeurs firent des affaires d’or autour de l’amphithéâtre, réussissant à écouler tous leurs stocks presque au double du prix coûtant. Enfin, la police dut être appelée en renfort pour sécuriser les portes du célèbre aréna et s’assurer qu’aucun non-détenteur de billet n’y pénètre avant ou pendant la rencontre.
Voici une dernière anecdote, concernant une retombée très immédiate qu’eut pour Delaney son triomphe. Il était prévu que Flowers reprenne le collier trois jours plus tard en Pennsylvanie pour se mesurer à Allentown Joe Gans, mais le K.-O. brutal qu’il venait de subir rendait évidemment impossible pour lui d’honorer cet engagement. Delaney se fit donc offrir, quelques minutes à peine après être sorti du ring, de prendre la place de Flowers, ce à quoi il consentit volontiers. Le 19 janvier, le Québécois récolta donc sa deuxième victoire en trois jours, en s’imposant aux points contre Gans.
Sources consultées
Anonyme, «Delaney Will Box Flowers on Friday», The New York Times, 11 janvier 1925.
Anonyme, «Flowers Stopped by Delaney in 2nd», The New York Times, 17 janvier 1925.
Harry Newman, «Jack Delaney Kayoes Flowers in 2nd», New York Daily News, 17 janvier 1925.
Thomas S. Rice, «Delaney’s Clean-Cut Win Over Flowers Brings Chance for Middles’ Title», The Brooklyn Daily Eagle, 17 janvier 1925.
Anonyme, «Jack Delaney Knocks Out Flowers in Second», The Bridgeport Telegram, 17 janvier 1925.
Anonyme, «Jack Delaney bat Flowers en deux rondes», La Presse, 17 janvier 1925.
Anonyme, «Jack Delaney terrasse hier Tigers (sic) Flowers», La Patrie, 17 janvier 1925.
Anonyme, «Jack Delaney met Flowers knock out à la deuxième rkonde (sic)», L’Autorité, 18 janvier 1925.
Anonyme, «Delaney Willing to Fight His Victims», The Norwalk Hour, 22 janvier 1925.
William E. Clark, «Tiger Flowers’ Chances for Middleweight Title Fade When Delaney K.O.’s Him in Second», The New York Age, 24 janvier 1925.
Eddie Merrill, «Bright Eyes. The Story of Jack Delaney, One of the Greatest Fighters in the Light-heavyweight Division», The Ring, janvier 1949.
Bert Sugar et Teddy Atlas, The Ultimate Book of Boxing Lists, Philadelphie, Running Press Book Publishers, 2010.
Mike Casey, «Greatest Light Heavyweight? Jack Delaney, Said Benny Leonard», cyberboxingzone.com, date de parution inconnue.
BoxRec
Note: Les sources sont listées en ordre chronologique de publication, des plus anciennes aux plus récentes.