Par Martin Achard

Le 26 février 1925, le Québécois Jack Delaney (de son vrai nom Ovila Chapdelaine) battait pour la seconde fois le légendaire Tiger Flowers à New York, 41 jours après la tenue de leur premier duel, qui avait donné lieu à un spectaculaire one-punch knockout au début du deuxième round. Pourquoi un deuxième match entre les deux hommes fut-il organisé si rapidement après la première rencontre, dont le résultat avait été on ne peut plus décisif? Il était à l’origine prévu que Flowers affronte Paul Berlenbach, mais ce dernier avait déclaré forfait en raison d’une blessure à une main. Lorsque Delaney fut proposé comme remplaçant, Flowers et son clan y virent la possibilité de venger la défaite encaissée le mois précédent et de regagner le statut de principal aspirant au titre des poids moyens, alors détenu par Harry Greb. Au reste, le «Georgia Deacon» paraissait complètement remis du violent K.-O. qu’il avait subi quelques semaines plus tôt, puisqu’il avait disputé dans l’intervalle pas moins de six combats!

Dans le second duel, persuadé de pouvoir foudroyer son adversaire gaucher au moyen de sa droite comme dans la première rencontre, Delaney avait d’abord fait étalage de ses habiletés défensives, attendant le moment opportun pour porter le coup d’assommoir. Son attitude quelque peu passive avait permis à Flowers, un pugiliste résolument axé sur l’attaque, d’obtenir un léger avantage dans les deuxième et troisième reprises. Puis, dans la dernière minute de la quatrième, le natif de Saint-François-du-Lac trouva l’occasion qu’il recherchait: il plaça une droite à la mâchoire qui projeta Flowers dans les câbles et le fit tomber au tapis, et qui déclencha l’une des séries d’évènements les plus invraisemblables jamais observées dans un ring de boxe.
En effet, Flowers préféra se relever immédiatement, sans même attendre que l’arbitre commence le compte, une décision qui poussa Delaney à se ruer vers lui pour l’achever. Voyant «Bright Eyes» arriver à toute vitesse, Flowers choisit alors de remettre un genou par terre, avant même d’avoir eu à encaisser un autre coup. Mais Delaney, qui était déjà sur sa lancée, n’aperçut pas la manœuvre de son rival et il lui asséna une puissante droite au visage, qui le terrassa derechef.
Face à cette situation inusitée, la réaction immédiate de l’arbitre Patsy Haley fut de renvoyer les deux combattants dans leurs coins respectifs et de signifier verbalement son intention de disqualifier Delaney, pour cause de coup porté à un adversaire déjà au sol. La foule de 12000 personnes réunie au Madison Square Garden, comprenant ce que l’arbitre s’apprêtait à faire, se mit alors à exprimer bruyamment son insatisfaction. En outre, des spectateurs particulièrement en colère (dont bien entendu plusieurs parieurs frustrés) quittèrent leurs places dans les gradins afin de se masser aux abords du ring, où ils bousculèrent les rangées de sièges et créèrent un désordre que les policiers présents dans l’aréna s’efforcèrent tant bien que mal de contenir.

Après plusieurs minutes de discussion avec les hommes de coin de Delaney, de même qu’avec le représentant de la commission athlétique Walter Hook et le présentateur Joe Humphreys, Haley choisit finalement de ne pas disqualifier le Québécois, étant donné que sa faute n’était pas intentionnelle et que Flowers avait lui aussi commis une irrégularité en posant le genou à terre sans avoir été frappé. Haley demanda plutôt au timekeeper Eddie Munson de … remettre le chronomètre à zéro, de façon à reprendre le quatrième round depuis le début! Après une minute et cinq secondes de ce nouveau quatrième round, où très peu de coups furent échangés, Delaney plaça pour la troisième fois du combat une droite en puissance à la tête de Flowers, qui s’affaissa de tout son long en plein centre du ring, totalement inconscient. L’arbitre n’eut plus alors qu’à administrer le compte de dix, sous les clameurs de joie du public new-yorkais, qui avait depuis plusieurs mois adopté «Bright Eyes» comme l’un de ses grands favoris.

Ce nouveau résultat sans appel en faveur de Delaney désamorça complètement les allégations du gérant de Flowers, Walk Miller, selon lesquelles le Québécois avait inséré un objet dans son gant droit avant la première rencontre afin d’accroître sa force de frappe. D’ailleurs, Delaney tint, après le second match, à faire enlever ses gants dans l’arène, et il exhiba à l’assistance sa main droite, de façon à démontrer que ses bandages ne refermaient rien d’illégal.
Fidèle à sa réputation de fair-play exemplaire et de rectitude intellectuelle et morale, Flowers visita son conquérant dans son vestiaire tout de suite après l’affrontement afin de lui rendre hommage: «Jack, je te félicite de ton triomphe et je suis prêt à admettre que tu m’es supérieur», avait humblement affirmé l’actuel membre de l’International Boxing Hall of Fame, qui remporta un an jour pour jour plus tard le titre mondial des poids moyens. Puis il fit à Delaney le compliment suprême: «Si tu frappes Harry Greb avec le type de coups que tu m’as asséné ce soir, il ne restera plus rien de lui!»
Sources consultées
Anonyme, «Delaney to Meet Flowers In Return Match Thursday», The New York Times, 20 février 1925.
Thomas Holmes, «Will Lightning Again Strike Tiger Flowers In The Same Place?», The Brooklyn Daily Eagle, 25 février 1925.
Anonyme, «Flowers-Delaney Box Again Tonight», The New York Times, 26 février 1925.
Harry Newman, «Return Go Tonight With Tiger Flowers», New York Daily News, 26 février 1925.
Anonyme, «Both Fighters Are Confident of Victory; Close to 1,500 Fans from Park City Will Attend», The Bridgeport Telegram, 26 février 1925.
Anonyme, «Delaney and Flowers in Return Bout at Madison Square Garden», The Norwalk Hour, 26 février 1925.
Anonyme, «Garden In Uproar As Delaney Wins», The New York Times, 27 février 1925.
Harry Newman, «Delaney Twice K.O.’s Flowers ʼMid Storm», New York Daily News, 27 février 1925.
Anonyme, «Jack Delaney Scores Second Knockout Win over Flowers», The Bridgeport Telegram, 27 février 1925.
Anonyme, «Garden In Uproar When Delaney Stops Flowers in Fourth Round», The Norwalk Hour, 27 février 1925.
Westbrook Pegler, «Delaney Floors Flowers Twice Without Any Help», The Evening Independent, 27 février 1925.
Anonyme, «Jack Delaney bat Tiger Flowers en quatre rondes», La Presse, 27 février 1925.
Anonyme, «Jack Delaney l’emporte sur Tiger Flowers», La Patrie, 27 février 1925.
Anonyme, «Jack Delaney met Tiger Flowers hors de combat», Le Devoir, 27 février 1925.
Anonyme, «Board May Change Conflict In Rules», The New York Times, 1er mars 1925.
William E. Clark, «Tiger Flowers Succumbs Second Time To Fistic Prowess Of Jack Delaney», The New York Age, 7 mars 1925.
James P. Dawson, «Miller Reinstated By Boxing Board», The New York Times, 11 novembre 1925.
Note: Les sources sont listées en ordre chronologique de publication, des plus anciennes aux plus récentes.