Par Martin Achard
Pendant un temps, dans les premières décennies du XXe siècle, Georges Carpentier fut considéré comme l’idole de la France. Certains lui attribuent même l’explosion de popularité phénoménale du noble art dans l’Hexagone peu avant la Première Guerre mondiale. Au cours d’une carrière professionnelle qui dura de 1908 à 1926, celui qui était surnommé «l’homme à l’orchidée» en Amérique livra plus de 110 combats et captiva le public de son époque par ses exploits pugilistiques et sa personnalité charismatique de gentilhomme-boxeur. Aujourd’hui, cependant, plusieurs n’associent plus son nom qu’à sa défaite de 1921 contre Jack Dempsey à Jersey City dans le fameux «match du siècle», un évènement de nature internationale aux proportions jusqu’alors sans précédent dans l’histoire du sport. Les victoires remarquables de Carpentier dans le ring furent toutefois nombreuses et prouvent que sa réputation de grand boxeur n’est pas usurpée. Voici le top 5 de ses plus beaux triomphes.
5. K.-O. au premier round sur Joe Beckett

Le défi semblait appréciable pour Carpentier lorsqu’il fut annoncé que, le 4 décembre 1919, il allait croiser le fer de l’autre côté de la Manche avec Joe Beckett, la nouvelle vedette anglaise des poids lourds. D’une part, le natif du Pas-de-Calais était de bien faible carrure comparativement à son rival. D’autre part, il n’en était qu’à son troisième combat de retour après cinq années d’absence des rings pour cause de service dans l’armée, tandis que Beckett, lui, avait eu l’occasion de boxer à trente reprises depuis le mois d’août 1914. La décision des pronostiqueurs d’établir l’Anglais favori à 7 contre 4 ne surprit par conséquent personne. Mais c’était compter sans l’esprit analytique de Carpentier qui, avant même la rencontre, avait cerné le point faible de son adversaire, à savoir son manque de vitesse. Le Français mit donc à profit son jeu de jambes dès le son de la cloche annonçant le début du premier round, plaça quelques gauches au visage, puis lança après seulement une soixante de secondes de combat une droite rapide et puissante, qui atteignit la pointe du menton de Beckett et le foudroya net. Devant le Tout-Londres ébahi, Carpentier venait de réaffirmer, au moyen d’un fulgurant K.-O., son statut de meilleur poids lourd d’Europe. Cet exploit lui valut de recevoir le soir même les félicitations en personne du prince de Galles, qui avait assisté au match, et, le lendemain, une invitation à une réunion mondaine en présence du roi George V et de la reine Mary.
4. Décision en 20 rounds sur Jeff Smith

Carpentier fut critiqué par certains lorsque, le 11 octobre 1913 à Paris, il n’arriva pas à se débarrasser avant la limite de Jeff Smith, un adversaire qui, parmi les Américains qu’il avait jusqu’alors affrontés, avait une réputation un peu en deçà d’un Harry Lewis par exemple. Une analyse scrupuleuse des sources et des faits démontre toutefois que ces critiques reposaient en partie sur des attentes irréalistes à l’endroit du champion, dont la renommée était devenue telle en France que plusieurs s’imaginaient le voir pulvériser tous ses rivaux. La vérité est plutôt que Jeff Smith s’est avéré avec le temps être un immortel de la boxe, et que, quand il s’est mesuré à Carpentier, il était au sommet de son art et bien déterminé à vaincre. Il en résulta donc une bataille endiablée et sans merci, pleine de rebondissements et de retournements de situation, que Carpentier réussit malgré tout à remporter de façon décisive en prenant un ascendant marqué dans les quatre derniers rounds. En somme, un fabuleux combat, l’un des tout meilleurs disputés en Europe avant la Grande Guerre, et une superbe victoire de Carpentier, qui prouva sa capacité à prévaloir lors des matchs particulièrement rudes et éprouvants.
3. K.-O. au dixième round sur Young Joseph

Était-il possible pour un adolescent de 17 ans de la France, un pays où la boxe anglaise n’était presque pas pratiquée cinq ou six ans auparavant, de se rendre dans la capitale du Royaume-Uni pour y défaire un champion anglais bien établi, de neuf ans son aîné? C’est la question qui habitait les esprits de tous les passionnés de sport quand Carpentier, le 23 octobre 1911, monta dans le ring du King’s Hall de Londres pour y défier Young Joseph. La réponse qu’il donna alors fut d’une clarté retentissante. Il servit une terrible raclée à son expérimenté adversaire, qui fut ébranlé et expédié au tapis à maintes reprises, tellement que ses seconds préférèrent jeter l’éponge après le dixième round. Grâce à cet impressionnant triomphe, qui fut considéré comme un exploit majeur à l’époque, Carpentier devint le premier pugiliste français à remporter un titre européen, dans la catégorie des mi-moyens. Il parvint également par sa brillante performance à charmer le public anglais, qui le prit en haute estime et commença dès lors à s’intéresser de près à sa carrière.
2. K.-O. au quatrième round sur Bombardier Billy Wells

Le 1er juin 1913, des milliers d’amateurs du noble art venant de la France et du Royaume-Uni affluèrent vers la ville de Gand en Belgique pour y assister au match, présenté comme «le plus grand évènement de boxe jusqu’ici organisé sur le Vieux Continent», entre le champion européen des poids lourds, Bombardier Billy Wells, et Carpentier. Lors des deux premiers rounds, le David français fut sévèrement malmené par son Goliath d’adversaire, subissant quatre knock-downs en tout. Mais Carpentier, fidèle à sa réputation de pugiliste scientifique, sut modifier sa méthode et trouver la clef de la victoire à partir du troisième. Il commença à se positionner systématiquement au corps-à-corps, de manière à contrer l’allonge supérieure du Londonien, et il concentra ses attaques au cœur, au plexus et au foie, une stratégie qui porta rapidement ses fruits. Dès la quatrième reprise, Wells fut étendu pour le compte de dix au moyen d’une puissante combinaison gauche-droite à l’estomac. Ce spectaculaire triomphe fit du grand Georges une superstar à l’échelle européenne, de même que le premier Français auréolé du titre, alors très prestigieux et convoité, de champion européen des lourds.
1. K.-O. au quatrième round sur Battling Levinsky

Au printemps 1920, Carpentier se rendit aux États-Unis dans le but de mieux se faire connaître du public américain et de promouvoir une possible rencontre entre lui et Jack Dempsey, le célèbre champion des poids lourds. Toutefois, sa stratégie de marketing initiale souleva de vives critiques de la part de certains journalistes, car elle ne prévoyait aucun match préparatoire, seulement des mondanités, un rôle principal dans un film et des exhibitions dans une quarantaine de villes. Afin de faire taire ses détracteurs, qui mettaient en doute l’étoffe pugilistique réelle d’un homme en apparence aussi raffiné que lui, Carpentier prit donc le parti d’affronter, le 12 octobre 1920 à Jersey City, le champion du monde des mi-lourds Battling Levinsky. Malgré un refroidissement contracté quelques jours plus tôt, il fournit à cette occasion une concluante démonstration de sa férocité et de son efficacité comme combattant en déclassant complètement le solide Levinsky, qui fut envoyé deux fois au plancher à la deuxième reprise et mis K.-O. d’une violente série de coups à la quatrième. En prime, cette victoire valut à Carpentier de devenir le premier Français et le premier non-anglophone de l’histoire à détenir une ceinture mondiale universellement reconnue en boxe.
Autres victoires très notables (en ordre chronologique croissant): décision en 20 rounds sur Harry Lewis, 13 décembre 1911, Paris; K.-O. au 2e round sur Jim Sullivan, 29 février 1912, Monte-Carlo; K.-O. au 2e round sur Bandsman Dick Rice, 12 février 1913, Paris; K.-O. au 1er round sur Bombardier Billy Wells, 8 décembre 1913, Londres; K.-O. au 1er round sur Ted Kid Lewis, 11 mai 1922, Londres.
Note: on voit dans la photo de couverture du présent article Carpentier (à droite) lors de son duel avec Jeff Smith.
Principales sources utilisées
J. Judge, «“Georges Carpentier est réellement un grand boxeur”», Excelsior, 25 octobre 1911.
J. Mortane, «Carpentier champion d’Europe», La Vie au grand air, 28 octobre 1911.
F. Reichel, «G. Carpentier bat Bombardier Wells», Le Figaro, 2 juin 1913.
Anonyme, «Les poings français sont les meilleurs», Le Matin, 2 juin 1913.
L. Manaud, «Carpentier gagne sur le poteau», L’Auto, 12 octobre 1913.
J. Mortane, «Le match Carpentier-Smith», La Vie au grand air, 18 octobre 1913.
A. Glarner, «Carpentier abat Joe Beckett dès le premier round après 74 secondes de combat», Excelsior, 5 décembre 1919.
J. Marsillac, «Carpentier bat Beckett au premier round», Le Journal, 5 décembre 1919.
Anonyme, «Carpentier Kayos Levinsky», New York Daily News, 13 octobre 1920.
R. Edgren, «Carpentier Like A Panther In Action, Levinsky Beaten From Start», The Evening World, 13 octobre 1920.
G. Carpentier, Mon match avec la vie, Paris, Flammarion, 1954.
G. Haÿ, Georges Carpentier, Liévain, Gauheria (Les dossiers de Gauheria, 4), 1993.
C. Rivers, Georges Carpentier, The Idol of France, 2014 (http://georgescarpentier.org/).
BoxRec
Note: Les sources sont listées en ordre chronologique de publication, des plus anciennes aux plus récentes.