Par Martin Achard
Le Ring Magazine a été reconnu pendant la presque totalité de sa longue existence comme la plus éminente et la plus influente des revues de boxe, principalement aux États-Unis, mais également ailleurs dans le monde. Il peut donc être intéressant de savoir quels pugilistes du Québec ont eu l’honneur de figurer sur la couverture de l’un des quelque 1200 numéros de la revue depuis sa fondation en 1922, afin entre autres de mieux comprendre le degré d’internationalisation de la boxe québécoise à travers les époques. Un examen que j’ai effectué de toutes les couvertures parues jusqu’ici a corroboré une conclusion à laquelle j’étais déjà arrivé par d’autres voies, et qui est la suivante: sous le rapport de son internationalité, la boxe québécoise a connu, depuis que la ville de Montréal a légalisé la tenue de combats publics en 1915, trois grandes périodes. Je les distinguerai dans ma conclusion, mais je commence par donner, en ordre chronologique croissant, la liste des pugilistes québécois qui sont apparus en couverture de «la bible de la boxe». Pour chacun d’eux, je fournirai la ou les dates et images des couvertures où ils sont représentés, en marquant d’un astérisque la date de certains numéros, afin d’indiquer que le boxeur québécois y était véritablement sur la couverture mis en vedette, et non pas simplement inclus à titre d’élément parmi d’autres boxeurs ou personnalités. Je donnerai également pour chaque boxeur quelques renseignements biographiques, suivis de remarques visant la plupart du temps à préciser les raisons pour lesquelles ce boxeur a fait l’objet d’une couverture particulière.
Une note. J’ai choisi de considérer comme «québécois» tous les pugilistes qui, à un titre ou à un autre, «viennent» du Québec ou qui ont été considérés par le public de leur époque comme authentiquement québécois. Cette définition très peu restrictive de ce qu’est un boxeur fleurdelisé peut sembler claire, mais il existe néanmoins deux cas ambigus, que je signalerai dans ma conclusion. Ces cas me permettront de renforcer et de mieux documenter ma distinction entre les trois périodes.
JACK RENAULT (LÉONARD DUMOULIN DE SON VRAI NOM): JUILLET 1923*
Date et lieu de naissance: Le 18 janvier 1895 à Notre-Dame-des-Bois.
Carrière chez les professionnels: De 1918 à 1933.
Palmarès chez les professionnels: 78 victoires (dont 36 par K.-O. ou T.K.-O.), 27 revers, 3 matchs nuls et 6 no decision ou no contest.
Titre détenu: Champion canadien des poids lourds.
Autres faits d’armes:
- A été classé dans le top 5 mondial chez les poids lourds.
- A affronté neuf membres de l’International Boxing Hall of Fame.
- A boxé cinq fois en tête d’affiche au Madison Square Garden de New York.
Remarques: Le 9 mars 1923, Renault remporta la plus belle victoire de sa carrière en mettant K.-O. George Godfrey au 11e round à New York. Ce triomphe fut récompensé par la 18e couverture de l’histoire de la revue et par un article extrêmement flatteur sur lui dans le même numéro, qui le décrivait comme l’un des principaux aspirants à la couronne mondiale des lourds alors détenue par Jack Dempsey.
JACK DELANEY (OVILA CHAPDELAINE DE SON VRAI NOM): JUIN 1924* ET JANVIER 1948*
Date et lieu de naissance: Le 18 mars 1900 à Saint-François-du-Lac.
Carrière chez les professionnels: De 1919 à 1932.
Palmarès chez les professionnels: 75 victoires (dont 43 par K.-O. ou T.K.-O.), 11 revers, 2 matchs nuls et 2 no decision ou no contest.
Titre détenu: Champion mondial des poids mi-lourds.
Autres faits d’armes:
- A remporté sept combats contre des membres de l’International Boxing Hall of Fame.
- Fut considéré, de 1925 à 1927, comme l’un des tout meilleurs boxeurs de la planète toutes catégories confondues.
- Intronisé à l’International Boxing Hall of Fame en 1996.
- Intronisé au Panthéon des sports du Québec en 2016.
Remarques: L’immense popularité de Delaney dans les années 1920 lui valut de prendre part au combat vedette du programme d’inauguration du nouveau Madison Square Garden de New York le 11 décembre 1925. C’est pourquoi, lorsque le Ring Magazine choisit de célébrer le 22e anniversaire du nouveau garden dans son édition de janvier 1948, lui et son adversaire Paul Berlenbach furent mis en couverture.
LOU BROUILLARD (LUCIEN PIERRE BROUILLARD DE SON VRAI NOM): MARS 1932* ET OCTOBRE 1933*
Date et lieu de naissance: Le 23 mai 1911 à Saint-Eugène.
Carrière chez les professionnels: De 1928 à 1940.
Palmarès chez les professionnels: 101 victoires (dont 57 par K.-O. ou T.K.-O.), 31 revers et 3 matchs nuls.
Titres détenus: Champion mondial des poids mi-moyens et champion mondial des poids moyens.
Autres faits d’armes:
- A remporté trois combats contre des membres de l’International Boxing Hall of Fame.
- Intronisé à l’International Boxing Hall of Fame en 2006.
Remarques: La couverture d’octobre 1933, qui montre Brouillard et son impressionnante musculature sur fond bleu et jeune, peut à mon avis être considérée comme l’une des plus belles de l’histoire de la revue.
DAVE CASTILLOUX: DÉCEMBRE 1938
Note: Ici comme dans la suite, chaque fois qu’un boxeur n’est pas véritablement mis en vedette sur une couverture, mais y figure plutôt à titre d’élément parmi d’autres boxeurs ou personnalités, je l’ai encadré en vert afin de le rendre plus facile à distinguer.
Date et lieu de naissance: Le 4 juin 1916 à Gaspé.
Carrière chez les professionnels: De 1933 à 1948.
Palmarès chez les professionnels: 126 victoires (dont 48 par K.-O. ou T.K.-O.), 26 revers, 8 matchs nuls et 1 no decision ou no contest.
Titres détenus: Champion canadien des poids plumes, champion canadien des poids légers et champion canadien des poids mi-moyens.
Autres faits d’armes:
- A été classé dans le top 5 mondial chez les poids plumes et les poids légers.
- Intronisé au Panthéon des sports du Québec en 1992.
Remarques: L’année 1938 fut riche en succès pour Castilloux. Notamment, il remporta en mai la couronne canadienne des poids plumes et, en octobre, il mit hors de combat au 10e round Tony Dupre, un aspirant mondial dans la même catégorie. Ces réalisations lui permirent de percer le top 10 des 126 livres et d’apparaître sur la couverture du Ring Magazine en fin d’année.
JOHNNY GRECO: JUILLET 1943* ET DÉCEMBRE 1946*
Date et lieu de naissance: Le 1er octobre 1923 à Montréal.
Carrière chez les professionnels: De 1940 à 1954.
Palmarès chez les professionnels: 78 victoires (dont 43 par K.-O. ou T.K.-O.), 18 revers, 5 matchs nuls et 1 no decision ou no contest.
Titre détenu: Champion canadien des poids mi-moyens.
Autre fait d’armes:
- A été classé dans le top 5 mondial chez les poids mi-moyens.
Remarques: Greco ne fut jamais champion du monde, mais entre 1942 et 1946, il disputa une trentaine de combats à New York où son style énergique et agressif était extrêmement prisé du public, tellement que The Ring choisit de lui accorder deux de ses couvertures, et ce, en solo. Un beau témoignage de la popularité qu’a déjà eue à une certaine époque l’Italo-Montréalais.
ARTURO GATTI: MAI 1998; ÉDITION DES VACANCES 1998*; JUIN 1999; JUILLET 1999; JUILLET 2000; DÉCEMBRE 2002*; AVRIL 2003*; JUILLET 2004; DÉCEMBRE 2004; ÉDITION ANNUELLE 2004 (VOLUME 1)*; ÉTÉ 2005*; VOLUME 5, 2005; JUIN 2006*; AOÛT 2006*
Date et lieu de naissance: Le 15 avril 1972 à Cassino (Italie).
Carrière chez les professionnels: De 1991 à 2007.
Palmarès chez les professionnels: 40 victoires (dont 31 par K.-O. ou T.K.-O.) et 9 revers.
Titres détenus: Champion des poids super-plumes de l’International Boxing Federation et champion des poids super-légers du World Boxing Council.
Autres faits d’armes:
- Intronisé à l’International Boxing Hall of Fame en 2013.
- Intronisé au Panthéon des sports du Québec en 2017.
Remarques: Bien que le palmarès de Gatti ne comprenne pas, contrairement à ceux de Jack Delaney et de Lou Brouillard, des victoires contre des boxeurs de très grande élite, son incroyable popularité (reflétée par pas moins de 14 apparitions en couverture de la revue!) explique pourquoi il fut le troisième boxeur québécois de l’histoire à être intronisé à l’International Boxing Hall of Fame.
LUCIAN BUTE: AVRIL 2012
Date et lieu de naissance: Le 28 février 1980 à Pechea (Roumanie).
Carrière chez les professionnels: De 2003 à 2017.
Palmarès chez les professionnels: 32 victoires (dont 25 par K.-O. ou T.K.-O.) et 5 revers.
Titre détenu: Champion du monde des poids super-moyens de l’International Boxing Federation.
Remarques: Au début de 2012, Bute était toujours invaincu et pouvait se vanter d’avoir effectué neuf défenses victorieuses de son titre mondial, dont sept par mise hors de combat. Cette statistique avantageuse et son réputé uppercut de la gauche lui valurent d’apparaître sur une couverture dédiée aux as du K.-O., c’est-à-dire aux boxeurs capables de terrasser leurs adversaires d’un seul coup de poing.
ADONIS STEVENSON: FÉVRIER 2014* ET MARS 2014*
Date et lieu de naissance: Le 22 septembre 1977 à Port-au-Prince (Haïti).
Carrière chez les professionnels: De 2006 à 2018.
Palmarès chez les professionnels: 29 victoires (dont 24 par K.-O. ou T.K.-O.), 2 revers et 1 match nul.
Titres détenus: Champion du monde des poids mi-lourds du World Boxing Council et champion du monde des poids mi-lourds du Ring Magazine.
Remarques: La magnifique année 2013 de Stevenson, au cours de laquelle il devint champion du monde et battit par K.-O. ou T.K.-O. Darnell Boone, Chad Dawson, Tavoris Cloud et Tony Bellew, fut récompensée par le prestigieux titre de boxeur de l’année décerné par The Ring et par deux couvertures d’affilée au début de 2014.
DAVID LEMIEUX: AVRIL 2018
Date et lieu de naissance: Le 22 décembre 1988 à Montréal.
Carrière chez les professionnels: De 2007 à [en cours].
Palmarès chez les professionnels: 40 victoires (dont 34 par K.-O. ou T.K.-O.) et 4 revers.
Titre détenu: Champion du monde des poids moyens de l’International Boxing Federation.
Remarques: La spectaculaire mise hors de combat signée par Lemieux aux dépens de Curtis Stevens en mars 2017 fut auréolée du titre de «K.-O. de l’année» décerné par le Ring Magazine et valut au Québécois une photo de lui frappant Stevens en couverture de l’édition d’avril 2018, où étaient remis les prix pour l’année précédente.
CONCLUSION
L’idée la plus répandue à l’heure actuelle sur l’histoire de la boxe québécoise est qu’elle est essentiellement constituée de deux périodes. Une période, qui s’étend jusqu’à la fin des années 1990, où la boxe québécoise n’était que très peu internationalisée; puis une période où elle s’est ouverte au monde et a acquis un caractère international. Cette opinion comporte une part de vérité, mais elle ignore ou oublie que, de 1915 jusqu’à la fin des années 1950 environ, la boxe québécoise était déjà extrêmement internationalisée, non seulement parce que plusieurs pugilistes québécois appartenaient à l’élite mondiale et livraient des combats d’importance à l’extérieur de la province, mais aussi parce qu’étaient très souvent présentées à Montréal des rencontres mettant en vedette les meilleurs boxeurs étrangers. En fait, l’histoire de la boxe québécoise est plutôt composée de trois périodes, et si l’on devait représenter son évolution sur un plan cartésien où l’abscisse est le temps et l’ordonnée le degré d’internationalité, on obtiendrait une parabole tournée vers le haut, c’est-à-dire une image comme celle-ci:
Autrement dit, dans un premier temps, soit de 1915 à la fin des années 1950 environ, la boxe québécoise était très internationalisée. Puis dans un deuxième temps, qui va de la fin des années 1950 jusqu’à la fin des années 1990, elle s’est repliée sur elle-même et est devenue moins internationalisée (ce qui n’a pas empêché, notons-le, certains boxeurs québécois d’avoir une carrière aux dimensions internationales, par exemple Robert Cléroux ou Matthew Hilton). Et dans un troisième temps enfin, qui débute vers la fin des années 1990, elle s’est ré-internationalisée. Or il est frappant de constater que l’existence de ces trois périodes (qui peut être établie sur la base de plusieurs faits) se reflète dans les statistiques relatives aux pugilistes québécois en couverture du Ring Magazine. En effet, comme le démontrent les résultats de ma recherche, cinq Québécois sont apparus sur la couverture de la revue entre 1915 et la fin des années 1950; aucun entre la fin des années 1950 et la fin des années 1990; et quatre depuis la fin des années 1990.
Je signale un dernier fait à propos de la première des trois périodes, celle dont l’existence est la plupart du temps passée sous silence dans les résumés de l’histoire de la boxe québécoise. Si l’on voulait être parfaitement exhaustif en ce qui la concerne, il faudrait peut-être ajouter au décompte les noms d’Al Foreman et de Pete Sanstol, qui sont apparus en solo sur la couverture du Ring Magazine respectivement en septembre 1929 et en août 1931.
Car même si Foreman est Anglais et Sanstol Norvégien, il demeure qu’ils ont fait la couverture de la revue lors d’une phase de leur carrière où ils étaient basés au Québec, où ils se battaient principalement au Québec, et où ils étaient fréquemment présentés dans les médias de la Belle Province comme du reste de l’Amérique du Nord comme des «boxeurs de Montréal». Bref, à l’époque, Montréal avait une telle importance comme ville de boxe à l’échelle internationale qu’elle servait de tremplin à des pugilistes étrangers désireux de faire progresser leur carrière. Il s’agit là d’un fait éloquent, qui démontre qu’on ne devrait jamais sous-estimer le degré d’internationalité qu’avait la boxe au Québec lors des premières décennies suivant sa légalisation.