Sept boxeurs qui ont montré leur grandeur au Québec

Par Martin Achard

Une trentaine d’immortels du noble art, déjà membres de l’International Boxing Hall of Fame (IBHOF) ou appelés à le devenir, ont disputé un ou plusieurs combats au Québec. Face à un nombre aussi impressionnant, il peut être intéressant de se poser la question suivante: parmi ces grands boxeurs, lesquels ont livré dans la Belle Province une performance particulièrement mémorable, c’est-à-dire une performance où ils ont véritablement montré leur grandeur ou, du moins, quelque chose de leur grandeur? Certains noms viennent spontanément à l’esprit en réponse à cette question, mais d’autres sont malheureusement tombés dans l’oubli aujourd’hui. En effectuant des recherches, notamment dans les journaux de l’époque, j’ai pu établir la liste des sept noms plus bas. Elle n’a pas la prétention d’être absolument exhaustive, mais je la publie dans l’espoir qu’elle attirera l’attention sur certaines des plus admirables prestations de boxe jamais offertes au Québec.

On me permettra de me répéter afin de bien souligner le point suivant: les boxeurs que je m’apprête à énumérer ont montré, lors d’une performance qui, à un égard au moins, sortait de l’ordinaire, leur grandeur ou quelque chose de leur grandeur au Québec. Je ne dis pas qu’ils ont livré au Québec le meilleur combat de leur carrière ou qu’ils étaient au faîte de leurs habiletés pugilistiques au moment du match. Seulement qu’ils y ont laissé paraître en sol québécois, de manière spécialement claire, une ou des aptitudes qui illustrent ou confirment leur statut de boxeurs d’exception. Par ailleurs, je ne propose aucun classement parmi les immortels énumérés. Ils sont simplement listés en ordre chronologique de prestation au Québec, de la plus ancienne à la plus récente.

Sixto Escobar (intronisé à l’IBHOF en 2002)

Sixto Escobar, le premier champion portoricain de l’histoire, n’avait que vingt-deux ans et était dans la force de l’âge lorsque, le 7 août 1935, il défendit sa couronne mondiale des poids coqs au Forum de Montréal contre le Norvégien Pete Sanstol, un boxeur suprêmement talentueux qui, malgré ses trente ans et plus de cent rencontres disputées chez les professionnels, avait conservé intacte sa rage de vaincre. Le duel Escobar-Sanstol se joua en deux temps. Pendant les sept premiers rounds, le Portoricain contra le brio défensif du Norvégien en se montrant patient et méthodique et en utilisant sa puissance pour placer les meilleurs coups. Puis durant les cinq derniers, il domina physiquement un Sanstol qui, dans une courageuse tentative pour renverser la vapeur et arracher la victoire, avait modifié sa stratégie et choisi de se bagarrer. Les deux hommes, qui offrirent à la foule du Forum un magnifique spectacle, se couvrirent tous deux de gloire par la trempe qu’ils démontrèrent, mais personne ne mit en doute la justesse du verdict final: un large triomphe aux points pour Escobar, obtenu contre un challenger de premier ordre.

Escobar.Sanstol.SeagramsFan
Éventail distribué aux spectateurs du match.

Kid Gavilan (intronisé à l’IBHOF en 1990)

Quand Kid Gavilan fut appelé à Montréal pour y affronter Laurent Dauthuille au Forum le 21 novembre 1949, c’était afin de permettre à Dauthuille, la nouvelle coqueluche des Québécois, de poursuivre son ascension vers le titre mondial des poids moyens. Certes, Gavilan était alors classé premier aspirant à la ceinture mondiale des welters, mais la plupart des experts estimaient que ses désavantages sous les rapports du poids et de la force le feraient s’incliner par décision face au redoutable Français. C’était toutefois compter sans le savant mélange d’habiletés de boxe de très haut niveau que possédait le «faucon cubain». Dauthuille se battit avec ardeur, mais Gavilan remporta la bataille du ring generalship grâce à sa rapidité, sa mobilité, ses feintes, ses superbes contre-attaques et ses célèbres «coups de bolo». Et c’est donc à l’unanimité des trois juges que, après dix reprises, il fut désigné vainqueur de l’affrontement.

Gavilan-Dauthuille
Gavilan (à gauche) sur le point de frapper Dauthuille avec un «polo punch».

Jimmy Carter (intronisé à l’IBHOF en 2000) 

Même si Jimmy Carter avait perdu aux points contre «l’orgueil du Griffintown» Armand Savoie dans un non-title fight quelques mois plus tôt, il était considéré comme le favori lorsque les deux hommes croisèrent de nouveau le fer le 11 novembre 1953 au Forum de Montréal, avec cette fois le titre mondial des poids légers détenu par Carter en jeu. À cette occasion, le résident du Bronx ne fit pas mentir les pronostiqueurs. Après trois rounds passés à bien se protéger contre les furieuses charges du Québécois, Carter commença à partir du quatrième à décoder le modus operandi de son adversaire et à obtenir du succès en contre-attaque, puis il l’assomma net au cinquième d’une très courte droite au menton, lancée avec tout le poids de son corps au moment exact où Savoie s’élançait vers lui. L’un des K.-O. les plus spectaculaires jamais réalisés dans une arène montréalaise, et une excellente démonstration de la polyvalence pugilistique pour laquelle le triple champion des légers était réputé.

Carter-Savoie 2
Carter (à droite) et Savoie échangeant des coups.

Archie Moore (intronisé à l’IBHOF en 1990)

Il est bien connu qu’Archie Moore a disputé le plus célèbre match de sa longue carrière le 10 décembre 1958 au Forum de Montréal, lors d’une défense de son titre de champion du monde des poids mi-lourds contre l’Acadien Yvon Durelle. Le «Old Mongoose» y visita le tapis trois fois au premier round et une autre fois au cinquième, mais de façon quasi miraculeuse, surtout pour un combattant dans la quarantaine dont le corps avait alors subi l’épreuve de plus de deux cents rencontres de boxe professionnelle, il parvint à prendre l’ascendant à partir de la sixième reprise et à mettre K.-O. Durelle à la onzième. Après un tel prodige, comment douter qu’Archie Moore fût fait, comme boxeur, d’une étoffe vraiment unique?

Moore-Durelle 1 déc. 1958
Moore (à droite) attaquant Durelle.

Emile Griffith (intronisé à l’IBHOF en 1990)

Quand Emile Griffith, alors âgé de presque 37 ans, monta dans le ring du Forum de Montréal le 10 décembre 1974, c’était afin de permettre à Donato Paduano de renouer avec ses aspirations internationales en signant une victoire contre lui. Après avoir remporté aisément les deux premiers rounds, le quintuple champion du monde chez les mi-moyens et les moyens eut la mauvaise surprise de se blesser à l’épaule et de perdre complètement l’usage de sa droite au troisième. Qu’allait faire celui que certains considèrent comme le meilleur boxeur «livre pour livre» des années 1960? Abandonner? Ou se comporter en bon soldat et poursuivre le combat, mais en acceptant que Paduano prenne le dessus sur lui? La réponse fut: ni l’un ni l’autre. Bien plutôt, Griffith garda son calme et, en n’utilisant que son bras gauche et de magistraux déplacements, il continua jusqu’au dixième et dernier round à servir une leçon de boxe à Paduano, puis repartit chez lui à New York avec un triomphe par décision unanime en poche.

Griffith Paduano
Billet pour le match.

Roberto Duran (intronisé à l’IBHOF en 2007)

J’ai écrit dans mon introduction que les boxeurs sur cette liste n’avaient pas forcément disputé la meilleure performance de leur carrière au Québec, mais cette réserve ne s’applique pas au cas présent. Car Roberto Duran a livré sa plus brillante performance au Stade olympique de Montréal le 20 juin 1980, alors qu’il battit aux points en quinze rounds Sugar Ray Leonard pour remporter une couronne mondiale chez les poids mi-moyens. Comment, en effet, cette réalisation pourrait-elle ne pas représenter le sommet de la glorieuse carrière de Duran, si l’on considère que «Manos de Piedra» a réussi, cette journée-là, à vaincre un adversaire suprêmement talentueux, un autre immortel parmi les immortels, qui était à la fois plus jeune, plus grand, plus imposant physiquement et plus rapide que lui? Cette sublimissime victoire est la principale raison pour laquelle il est fréquent, à l’heure actuelle, de voir Duran percer le top 10 «livre pour livre» des meilleurs pugilistes de l’histoire. Une place bien méritée selon moi.

Duran
Duran (à gauche) pourchassant Leonard.

Bernard Hopkins

Tous les amateurs de boxe du Québec se souviennent probablement de la soirée du 21 mai 2011, lorsque Bernard Hopkins, afin d’ébranler psychologiquement Jean Pascal, avait fait des push-ups dans le ring du Centre Bell entre les sixième et septième rounds. Le combat entre l’Américain et le Lavallois fut animé et serré, mais au terme des douze reprises, le fin renard et le maître en défensive qu’était Hopkins fut à juste titre déclaré vainqueur par décision unanime. Grâce à cette victoire, qui lui permit de s’approprier un lot de ceintures chez les mi-lourds, «B-Hop» devint, à l’âge de 46 ans, le plus vieux champion du monde de l’histoire de la boxe. Un superbe exploit, qui restera à jamais gravé dans les annales du noble art, et qui fut réalisé dans la métropole du Québec, Montréal.

Hopkins-Pascal 2 (b)
Hopkins (à droite) frappant Pascal.

Principales sources consultées

H. Lavigne, «Pete Sanstol livre un sanglant mais futile combat », La Patrie, 8 août 1935.

Anonyme, «Escobar Retains Claim to Crown Beating Sanstol», The Montreal Gazette, 8 août 1935.

E.W. Ferguson, «Escobar Keeps World Title», Montreal Daily Herald, 8 août 1935.

Anonyme, «Escobar Easily Outpoints Sanstol», Montreal Daily Star, 8 août 1935.

Anonyme, «Une foule record attendue au combat», La Presse, 21 novembre 1949.

Anonyme, «Kid Gavilan cause une surprise en obtenant la décision sur Dauthuille», La Presse, 22 novembre 1949.

P. Curran, «Kid Gavilan Wins Unanimous Decision from Dauthuille», The Montreal Gazette, 22 novembre 1949.

M. Desjardins, «Jimmy Carter bat Armand Savoie par knockout en cinq rondes», La Presse, 12 novembre 1953.

R. Meloche, «Carter encore champion», La Patrie, 12 novembre 1953.

M. Desjardins, «Archie Moore se relève quatre fois du plancher et triomphe de Durelle à la 11e», La Presse, 11 décembre 1958.

M. Cardinal, «Archie Moore conserve son championnat», Le Devoir, 11 décembre 1958.

P. Foglia, «Griffith nous a fait un dessin…», La Presse, 11 décembre 1974.

M. Moss, «One-armed Griffith easy victor», The Montreal Gazette, 11 décembre 1974.

L. Lacroix, «Duran entre parmi les immortels de la boxe», La Presse, 21 juin 1980.

W. Nack, «Right On for Roberto», Sports Illustrated, 29 juin 1980.

M. Carbert, «Dec. 10, 1958: Moore vs Durelle I», The Fight City, 2018.

BoxRec

Note: Les sources sont listées en ordre chronologique de publication, des plus anciennes aux plus récentes. 

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