Par Martin Achard
Vers le milieu du 20e siècle, plusieurs programmes de boxe professionnelle étaient présentés chaque année dans la ville de Québec. À cette époque, le pugiliste vedette de la Vieille Capitale était incontestablement le poids coq Fernando Gagnon. D’où venait ce spectaculaire petit boxeur et quels furent les points saillants de sa riche carrière? Voici les réponses à travers un court portrait de ce dur cogneur adoré du public.
Origines et débuts dans la boxe
Fernando Gagnon naquit le 4 décembre 1922 à Disraeli, dans la région de Chaudière-Appalaches. Adolescent, il suivit un cours agricole au collège de St-Ferdinand d’Halifax, puis travailla dans les mines d’amiante d’Asbestos. C’est dans cette dernière ville que, à l’âge de 19 ans, il effectua ses premiers combats professionnels. Par la suite, il s’enrôla dans l’infanterie et se retrouva à Valcartier où, en 1943, le capitaine Léo Bouchard le prit sous son aile et devint son gérant. Dès lors, il fit de Québec sa ville de résidence et se lança à fond dans le noble art.
Un boxeur extrêmement actif et un recordman de la force de frappe
Gagnon a livré un nombre considérable de combats. BoxRec lui attribue un palmarès de 105 victoires, 30 défaites et huit matchs nuls, et rapporte que 77 de ses victoires furent acquises par K.-O. ou T.K.-O. Le journal personnel de Gagnon faisait plutôt état d’un palmarès de 109-31-8, avec 78 mises hors de combat. Que le nombre exact soit 77 ou 78, Gagnon détient le record, extrêmement notable, du plus grand nombre de victoires remportées avant la limite pour un pugiliste canadien basé au Canada.
Sur les quelque 150 matchs qu’il a disputés, plus de la moitié le furent à Québec, dont plusieurs à La Tour, le défunt haut-lieu de la boxe et de la lutte dans la Vieille Capitale. Le nom de Gagnon était intimement lié à l’endroit, car il en fut l’une des principales têtes d’affiche.

Un double champion canadien et un aspirant à la couronne mondiale
C’est à La Tour que, le 26 août 1946, il remporta le titre de champion canadien des poids coqs en passant le K.-O. à la cinquième reprise à Eddie Pétrin. Il défendit avec succès cette ceinture huit fois et, de façon remarquable, il la conserva pendant presque dix ans, soit jusqu’à sa retraite.
Ses excellents résultats en 1946 et 1947, deux années pendant lesquelles il accumula 21 victoires et deux matchs nuls et ne subit aucun revers, lui valurent de figurer en huitième position chez les poids coqs dans le classement annuel des aspirants mondiaux établi pour 1947 par la revue The Ring.
La rareté des adversaires de 118 livres pour un combattant aussi actif que Gagnon l’obligea souvent à boxer dans la catégorie supérieure, soit celle des plumes, un fait qui rend son record de victoires avant la limite encore plus admirable. Le 1er mars 1948, devant près de 3000 spectateurs réunis à La Tour, il devint un double champion canadien en passant le K.-O. dès le deuxième round au monarque des 126 livres, le Montréalais Hubert Gagnier. Dans ce match, il frôla la mise hors de combat vers la fin de la première reprise, mais il fut tiré d’affaire par son extraordinaire force de frappe. En effet, il n’eut besoin au deuxième round que de trois coups bien placés (une droite au corps, un crochet de gauche à l’œil et un crochet du droit à la mâchoire) pour liquider Gagnier, qui possédait pourtant un avantage de poids de six livres sur lui.

Une excursion outre-Atlantique de quelques mois
De février à mai 1950, Gagnon séjourna outre-mer pour y livrer des matchs au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. Une brillante victoire par T.K.-O. à Newcastle upon Tyne contre l’Anglais Teddy Gardner lui permit d’obtenir un combat de championnat du Commonwealth des poids coqs à Johannesburg contre le Sud-Africain Vic Toweel. Il s’inclina à cette occasion aux points en 15 reprises, mais contre un adversaire qui allait devenir champion du monde des coqs quelques semaines plus tard en détrônant le légendaire Manuel Ortiz.

Un match nul contre un champion du monde
L’un des moments les plus marquants et les plus médiatisés de sa carrière eut lieu le 27 août 1951, lorsqu’il affronta au nouveau Colisée de Québec, dans un non-title fight présenté devant plus de 7500 spectateurs, le champion du monde en titre des poids mouches Dado Marino. Attaquant sans relâche, il parvint à soutirer un verdict nul à l’excellent boxeur hawaïen, un résultat qui fut dépeint comme une sorte de victoire dans les médias québécois.

Un pugiliste qui sut se retirer au bon moment
Gagnon avait déclaré dans une entrevue donnée en 1950 qu’il comptait quitter l’arène à temps, afin de laisser le meilleur souvenir possible de lui, et il tint parole. Après une défense victorieuse de son titre canadien des poids coqs contre Gerry Simpson en novembre 1955, il ne fit guère parler de lui pendant quelques mois puis, à la fin d’avril 1956, il fit parvenir une lettre au commissaire de la Fédération canadienne de boxe pour l’informer que, pour cause de retraite, il abdiquait sa couronne. Preuve de la place de choix qu’il occupait dans le cœur des amateurs de sport de la Vieille Capitale, la nouvelle fit la toute première page du journal Le Soleil.

Il ne remit jamais les pieds dans un ring. Il se maria, devint père de famille et déménagea dans la région de Montréal, où il travailla pendant 25 ans pour Kraft Canada.
Il est mort le 22 juin 1996, à Montréal-Nord, à l’âge de 73 ans.
Notes:
La photo de couverture du présent article montre Gagnon tenant une photo d’Amado Mir, qu’il vainquit en mars 1954.
Les première, deuxième, cinquième, sixième et septième photos que j’ai utilisées dans cet article font partie soit du fonds du journal La Presse soit du fonds Gabriel Desmarais de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
Principales sources consultées
Anonyme, «Gagnon contre Pétrin», Le Soleil, 26 août 1946.
The Ring, février 1948.
R. Sabourin, «Fernando Gagnon knockoute Hubert Gagnier à la 2e ronde», Le Soleil, 2 mars 1948.
R. Meloche, «Fernando Gagnon K.O. H. Gagnier en 2 rondes», La Patrie, 2 mars 1948.
Anonyme, «Brillante victoire de Fernando Gagnon sur Gardner», Le Soleil, 14 février 1950.
J.-É. Dion, «Quand on rencontre un champion», Le Soleil, 13 août 1950.
Anonyme, «Le combat Marino-Gagnon présenté ce soir au Colisée», Le Soleil, 27 août 1951.
M. Bourassa, «Fernando Gagnon oblige Dado Marino à annuler hier soir», Le Soleil, 28 août 1951.
L.-A. Frenette, «Fernando Gagnon annule en dix rondes avec Marino», L’Action catholique, 28 août 1951.
Anonyme, «Fernando Gagnon quitte définitivement la boxe», Le Soleil, 30 avril 1956.
R. Sabourin, «Abandon de l’arène par le champion Fernando Gagnon», Le Soleil, 1er mai 1956.
J. Arteau, «Où sont-ils? Fernando Gagnon», Le Soleil, 12 janvier 1985.
Anonyme, «Décès de Fernando Gagnon», Le Soleil, 25 juin 1996.
M. Gladu, Les seigneurs du ring. Des origines à Lucas, Montréal, Éditions Trait d’Union, 2004.
S. Gaudreau, «Fernando Gagnon», dans G. Janson (éd.), Dictionnaire des grands oubliés du sport au Québec (1850-1950), Québec, Septentrion, 2013.
BoxRec
Note: Les sources sont listées en ordre chronologique de publication, des plus anciennes aux plus récentes.